Des voyageuses savantes
On ne saurait parler des voyageuses savantes sans évoquer l’émancipation des femmes au XIXe siècle. Avant cette période, en effet, les femmes voyageuses sont rares. C’est en Angleterre que le mouvement se développe le plus, avec des personnalités célèbres comme Isabelle Eberhardt ou Ida Pfeiffer. Marie Dronsart dresse plusieurs portraits de ces femmes dans Les grandes voyageuses en 1894.
Une des pionnières est l’écrivain Mary Wortley Montagu qui voyage d’Angleterre en Turquie en 1716. Elle est la première femme à révéler à l’Occident les secrets du harem, interdit aux hommes. Ses Lettres écrites pendant ses voyages en diverses parties du monde, publiées de manière posthume, se révèlent une source importante sur les femmes de l’Empire ottoman au XVIIIe siècle.
Suivre son mari
Jusqu’au XXe siècle, il est inhabituel pour une femme de voyager seule, et celles qui le font sont rares. La plupart du temps, la femme accompagne son mari dans ses voyages, soit pour une mission officielle et politique soit pour des raisons scientifiques. C’est le cas par exemple de Raymonde Bonnetain, qui accompagne son mari Paul Bonnetain, romancier naturaliste, en mission officielle au Soudan (l’actuel Mali) en 1892. Elle écrit dans son journal Une française au Soudan : « son devoir était de se mettre en route, le mien de le suivre » (p.3). Ce texte est une source précieuse pour les historiens, car il dresse une critique non pas directement de la politique d’occupation coloniale mais de l’incurie et de la médiocrité de cette occupation. Isabelle Massieu accompagne également son mari mais, une fois veuve, elle accomplit seule ses voyages, choisissant les régions où n’a pénétré aucune femme française. Elle voyage ainsi au Liban, en Syrie, en Inde, avant de faire un tour complet d’Asie. Elle est la première femme française à être entrée au Népal. Reconnue par ses pairs, elle est chargée en cours de route d’une mission d’études par le ministère de l’Instruction publique sur la question coloniale.
Franchir les limites
Plus encore que les hommes explorateurs, les femmes doivent franchir certaines limites géographiques et sociales pour réaliser leurs projets. Toutes les voyageuses ont en commun la curiosité, la débrouillardise mais aussi la force de transgresser les règles. Jane Dieulafoy, étonnante à bien des égards, est souvent caricaturée dans les revues de son époque car elle porte en toute occasion un costume masculin. Elle obtient pour cela une « permission de travestissement », puisqu’à l’époque il est encore interdit pour une femme de porter des vêtements masculins, sauf pour raison de santé. Ce choix s’explique bien sûr par la praticité pour voyager, notamment à cheval, mais ce n’est pas la seule raison : Jane Dieulafoy conserve en effet ce « travestissement » à Paris dans le salon qu’elle tient à son retour. Alexandra David-Néel est une figure renommée de l’aventurière. Née en France en 1868, elle est la première femme occidentale à entrer dans la capitale du Tibet Lhassa en 1924, alors fermée aux étrangers. Pour y arriver, elle doit se déguiser en mendiant tibétain et prétendre être la mère de son guide Yongden.
Transmettre
Mais ce qui distingue la voyageuse savante de la touriste, c’est surtout la transmission de son expérience par l’écriture. Mme Jean Pommerol, de son vrai nom Mme Marchand, passe plus d’un an à étudier les mœurs de différentes tribus du Sahara. Une femme chez les sahariennes porte un regard méprisant sur les femmes sahariennes et constitue en cela une source intéressante pour l’époque. Mais son talent de reporter se voit surtout dans ses nombreuses photos de la vie quotidienne des habitantes du Sahara. Mme B. Chantre suit et seconde son mari Ernest, grand érudit, anthropologue, naturaliste, ethnologue et archéologue. Ils étudient les populations du Caucase. C’est dans le cumul des discours que l’apport de l’épouse trouve sa place : Mme Chantre note méthodiquement ce qu’elle voit, les mœurs, les peuples, les costumes, allant jusqu’à prendre des mesures anthropométriques caractéristiques de son époque. Adèle Hommaire de Hell, enfin, est bien l’autrice d’une œuvre originale, même si elle signe ses œuvres du nom de son époux. Membre de la société de géographie de France, elle suit son mari dans ses voyages dans l’Empire ottoman et la Russie. Son récit Les steppes de la mer Caspienne (1847) est une étude de référence sur la Crimée et le Caucase. Veuve, elle publie les récits de voyage de son mari et tient un salon à Paris.